Avis aux aficionados de la technique : l’industrie informatique ne se porte pas bien. Greg Papadopoulos, technicien en chef du constructeur sun Microsystems déclarait il y a peu « que l’informatique se trouve aujourd’hui dans un état dont nous devrions avoir honte ». Cette citation est terriblement embarrassante lorsqu’elle s’exprime par la bouche de l’architecte suprême d’une des marques informatiques parmi les plus prestigieuses de la branche. La complexité ambiante retient l’industrie informatique en arrière. Beaucoup de fonctions acquises et développées à grand renfort d’espèces sonnantes et trébuchantes ne sont tout simplement pas implémentées en raison de leur complexité. Et la gestion de cette complexité représente assurément le principal défi actuel jeté à l’industrie informatique.
Le coût de la complexité informatique est aussi exorbitant que difficile à chiffrer. Selon le cabinet de recherche The Standish Group, deux projets informatiques sur trois échouent tout bonnement ou nécessitent plus de temps que prévu à voir le jour en raison de la sous-évaluation de leur complexité. Cette tendance est plus alarmante dans le cadre de gros projets informatiques dépassant les 10 millions de dollars puisque ce taux dépasse alors 98% ( !). Une étude du cabinet Gartner Group évalue la durée moyenne de panne d’un réseau informatique d’entreprise à 175 heures et la perte ainsi générée à 7 millions de dollars. Le pompon revenant aux collaborateurs itinérants – parmi lesquels les membres du service externe – qui coûtent à leur employeur quelque 4'400 dollars de frais informatiques supplémentaires par année et par tête. Mais la palme d’or de la prévision la plus effrayante dans ce domaine revient sans aucun doute au cabinet IDC. L’étude menée par ce dernier durant 15 ans sur un échantillon d’entreprises démontre que, si ces dernières investissaient trois quarts de leur budget informatique dans du nouveau matériel et des nouveaux logiciels quinze ans auparavant pour consacrer un franc sur quatre de leur budget à fixer les bogues du système, aujourd’hui sept à huit francs sur dix sont nécessaires pour améliorer l’existant plutôt qu’à racheter de nouveaux systèmes. Selon l’auteur de l’étude, la complexité informatique aura coûté en 2004 quelque 750 milliards de dollars à l’économie mondiale.
Que faire pour renverser la vapeur ?
Les plaintes résultant de la complexité technologique ne datent pas d’hier mais sont nées, il y a 45 ans, avec l’apparition du circuit intégré. Pourtant l’évolution du mal connaît une accélération rapide depuis le « dotcom-boom » de la fin des années nonante. Après une dizaine d’années de forte croissance, le secteur informatique a soudainement chuté en l’an 2001 et n’est jamais parvenu à retrouver sa forme depuis lors. Cet état de fait tend à traumatiser les vendeurs de technologie et annonce un changement important de paradigme. La clientèle n’est dorénavant plus avide de technologies révolutionnaires « chaudes » mais recherche des technologies dites « froides », telles que l’intégration de logiciels qui leur permettront de simplifier les interactions des différents systèmes informatiques cohabitant, tant bien que mal, depuis leur acquisition durant les années folles qui ont précédé l’éclatement de la « nouvelle économie ». Selon Merril Lynch, l’industrie informatique progresse en vagues successives durant une quinzaine d’années et la prochaine vague sera celle de la simplicité ou ne sera pas. Durant les années 70-85 les entreprises ont acquis des gros ordinateurs « mainframe », la seconde a poussé l’apparition du PC connecté à un serveur et la troisième vague qui prend actuellement son amplitude prônera la « tout-connectivité » des gadgets utilisés par tout un chacun. Si la vague du mainframe était dominée par les technologies propriétaires dont l’icône la plus célèbre était IBM, la deuxième vague du PC a été dominée par la standardisation logicielle de Microsoft et la multiplication exponentielle du nombre d’utilisateurs. La troisième vague verra converger bureau, voiture et domicile où chacun sera relié de façon permanente à Internet dans une ère où l’informatique sera devenue aussi présente et incontournable qu’un bien courant tel que l’électricité, l’eau ou le téléphone. Cette évolution implique donc une simplification de l’informatique sous peine de ne pas parvenir à se transformer en bien courant.
Ce changement de paradigme sera imposé par les utilisateurs eux-mêmes. Dans une dizaine d’années, la population mondiale sera composée essentiellement d’individus propices à l’utilisation quotidienne de l’informatique. Les industriels qui sauront répondre à leurs besoins d’ubiquité virtuelle et de simplicité deviendront les maîtres de la troisième vague. Il est donc grand temps de choisir son camp. Vous sentez-vous capable de le faire ?