Les chiffres parlent d’eux-mêmes : En l’an 2007, selon les chiffres publiés par le cabinet d’étude Analysys, 300 millions d’Européens disposeront de smartphones, ces téléphones mobiles de nouvelle génération, déjà disponibles dans certains marchés asiatiques, alliant les fonctionnalités d’un assistant numérique personnel (PDA) et d’une caméra numérique. Le cabinet Ovum prédit que le marché mondial des appareils de communication sans fil, tous types confondus, doublera pratiquement entre 2002 et 2006. Si cette prévision se réalise, le chiffre d’affaires cumulé de ce secteur d’activité augmentera de 412 millions à 716 millions d’unités en quatre ans et sera dominé par les appareils de type « smartphone » (2002 : 12%, 2006 : 58% de parts de marché).
La lecture de telles prévisions explique naturellement l’intérêt des diverses anciennes et nouvelles forces en présence sur ce marché. Le leader actuel de la téléphonie cellulaire Nokia et ses alliés (également concurrents pour la plupart) se sont placés sous la bannière d’une société commune baptisée Symbian. Ils sont confrontés à l’outsider Microsoft, géant mondial et propriétaire exclusif de MS-Windows, le système d’exploitation informatique le plus utilisé au monde qui affine sa stratégie sous les yeux, actuellement impuissants de la communauté opensource Linux, adepte d’une transparence totale dans la conception de systèmes d’exploitation et de la gratuité des licences d’utilisation. Le gagnant de ce combat titanesque –s’il y en a un - régnera en maître sur un marché bien plus important que n’est celui de l’informatique aujourd’hui et pourrait disposer d’une capitalisation boursière bien supérieure à celle du groupe Microsoft aujourd’hui. À moins que ce dernier ne s’adjuge, grâce à sa puissance de frappe, une nouvelle suprématie dans ce secteur, comme ce fut toujours le cas dans le passé.
Pour Nokia, l’avenir s’annonçait sous les meilleurs hospices jusqu’à l’arrivée de Microsoft et de son projet de système d’exploitation Windows CE 3.0 Smartphone. Le fabricant finnois exerce depuis 1998 une domination impressionnante sur le marché de la téléphonie cellulaire puisque Nokia commercialise pratiquement 4 téléphones sur dix à l’échelle planétaire, soit plus du double que le numéro deux de ce marché, l’Américain Motorola. Malgré cette domination, Nokia a réussi à convaincre la grande majorité de ses concurrents directs d’unir leurs forces dans le développement du système d’exploitation commun Symbian OS. Pour y parvenir, Nokia s’est alliée en 1998 à l’éditeur britannique Psion, ainsi qu’à Ericsson et Motorola au sein de la « joint-venture » Symbian. Les sociétés Matsushita (Panasonic), sony-ericsson et Samsung sont venus grossir les rangs de son actionnariat par la suite. Aujourd’hui symbian représente 80% du marché mondial des systèmes d’exploitation de téléphonie cellulaire.
Microsoft, de son côté, est un nain dans ce secteur mais son histoire incite le respect et la crainte des acteurs déjà en place. Durant les vingt dernières années, le géant américain du logiciel n’a-t-il pas terrassé ou mis à mal des sociétés à l’époque aussi prestigieuses et intouchables que ne l’étaient IBM ou Netscape ? La vision originale de Bill Gates était de placer un micro-ordinateur équipé de logiciels Microsoft sur chaque bureau et dans chaque maison. Devenue aujourd’hui obsolète en raison de la convergence entre télécommunication et informatique, elle a été réactualisée en « Donner les pleins pouvoirs aux gens grâce à des logiciels exceptionnels, partout, à toute heure et sur n'importe quel type d’appareil. » Cette vision au spectre d’action beaucoup plus large a incité le géant de Redmond à s’impliquer dans de nouveaux secteurs en pleine expansion sans rapport direct avec son activité traditionnelle, tels que l’industrie du jeu ou de la téléphonie, afin de continuer à satisfaire son besoin démesuré de croissance.
Symbian parviendra-t-il à maintenir l’hégémonie de son système d’exploitation ou va-t-elle perdre des parts de marché au profit de Microsoft ? Les observateurs des marchés sont divisés pour diverses raisons. Tout d’abord, Symbian dispose d’un actionnariat composé principalement de fabricants de téléphones cellulaires qui sont des concurrents directs et qui n’apprécient pas forcément la suprématie insolente de la marque Nokia. Ces derniers pourraient décider un jour de changer de camp et donner ainsi au système d’exploitation de Microsoft une part de marché importante, voire majoritaire. Autre élément important à prendre également en compte : la convergence de l’informatique et des télécommunications étant inéluctable, les industriels télécoms seront forcés à terme de collaborer avec Microsoft et Windows qui équipent 86% du parc microinformatique mondial et disposent de relations supérieures avec la communauté mondiale des développeurs d’applications que Symbian. Si une guerre ouverte venait à se déclarer, Bill Gates n’hésiterait certainement pas à mettre encore plus les bâtons dans les roues de la concurrence en privilégiant son propre système d’exploitation Windows Smartphone puisqu’il l’a déjà fait dans le passé lors de sa guerre de domination du marché Internet contre Netscape. Déjà accusé par ses concurrents devant la cour européenne, Microsoft est actuellement soupçonné de favoriser les appareils de communication tournant sous Windows Smartphone lors du développement de Titanium, sa prochaine génération de serveurs de messagerie électronique. Une enquête est en cours pour déterminer si cette accusation a raison d’être. Troisième élément important : le retard pris par l’implantation de système de téléphonie de troisième génération et la chute boursière des cours des sociétés actives dans ce secteur ne joue pas en faveur de l’actionnariat de Symbian qui a moins d’argent à disposition qu’auparavant pour développer ses applications et voit ses perspectives bénéficiaires diminuer à moyen terme.
Symbian est-il donc condamné ? Pas sur. Nokia représente actuellement l’une des rare société au monde capable d’entrer en compétition avec Microsoft. Les ressemblances entre ces deux groupes sont flagrantes. Tous deux dominent de façon insolente leurs marchés respectifs et certains n’hésitent pas à affirmer que Nokia est devenu le Microsoft de la téléphonie mobile. Autre atout important : les amateurs d’analogies avec le monde informatique comprendront également que Nokia représente également le Dell de la téléphonie mobile puisque le fabricant finnois dispose de la meilleure logistique mondiale en la matière. Mais toutes ces similitudes ont tout de même une fin. Les deux groupes diffèrent dans un point essentiel. Si la dominance de Microsoft résulte de son propre système d’exploitation Windows, dont le secret est jalousement gardé, l’industrie de la téléphonie mobile utilise des standards ouverts qui ont facilité et accéléré son implémentation au niveau planétaire et force ses acteurs à faire preuve d’innovation et à développer des marques fortes afin de se développer. À ce jeu, Nokia est le champion du monde en titre contrairement à Microsoft, plus connu par la communauté informatique mondiale pour étouffer les innovations que le contraire. Au public donc de décider à quel camp accorder sa confiance. Nul doute que les prochains mois seront passionnants dans ce secteur.